
La Transquadra n’est pas une course que l’on fait, c’est une odyssée personnelle de deux ans où la vraie victoire se gagne bien avant le départ sur l’Atlantique.
- L’aventure principale réside dans la préparation (bateau, budget, binôme), une transformation plus intense que la traversée elle-même.
- Le plus grand défi est de rester un amateur éclairé, en évitant le « syndrome du pro » qui mène à la course à l’armement et à l’oubli de la gestion des risques.
Recommandation : Abordez la Transquadra non comme une simple régate, mais comme le projet de transformation personnel et technique le plus structurant de votre vie de marin.
Je me souviens encore du jour où l’idée a germé. La quarantaine passée, une carrière bien remplie, des week-ends en mer sur mon voilier de croisière. Et ce sentiment diffus, cette petite voix qui disait : « Et après ? ». C’est là que le nom « Transquadra » a commencé à résonner. On lit souvent que c’est une course pour amateurs, une transatlantique « accessible ». C’est vrai, mais c’est aussi un mensonge par omission. On ne vous parle pas de l’essentiel. On vous parle de l’arrivée en Martinique, des alizés, de la compétition. On oublie de vous dire que la véritable aventure, celle qui vous change à jamais, ne dure pas trois semaines sur l’océan. Elle dure deux, parfois trois ans. C’est un projet total, une obsession maîtrisée qui s’infiltre dans chaque recoin de votre vie.
L’erreur que beaucoup font, et que j’ai failli commettre, est de voir la Transquadra comme une finalité. En réalité, c’est un prétexte. Le prétexte à tout réapprendre, à pousser son bateau et soi-même dans ses derniers retranchements. L’angle de cet article n’est pas de vous raconter la course. C’est de vous raconter le projet. Mon projet. Comment, en partant d’un rêve de cadre sup’, j’ai dû devenir chef de projet, directeur financier, technicien et psychologue de mon propre navire et de mon équipage. C’est l’histoire de la face cachée de la Transquadra : celle de la préparation, là où tout se joue vraiment. Comme le résume parfaitement l’organisation, son format la rend compatible avec une activité professionnelle, ce qui en fait l’aboutissement de plusieurs années de motivation. C’est exactement ça : un marathon avant même de prendre le départ.
Ce guide est le récit de cette transformation. Nous allons décortiquer ensemble chaque étape, du choix du bateau à la gestion du budget, en passant par la relation cruciale avec son co-équipier, pour que vous puissiez, à votre tour, transformer ce rêve en un projet de vie cohérent et réussi.
Sommaire : La Transquadra, de l’idée folle au projet d’une vie
- 40 ans et l’Atlantique en ligne de mire : l’ADN de la Transquadra, une course pas comme les autres
- De la croisière à la course : comment transformer son voilier de série pour la Transquadra
- Le double : le mariage à durée déterminée le plus intense de la vie d’un marin
- Le « syndrome du pro » : l’erreur de l’amateur qui veut jouer dans la cour des grands et qui oublie la gestion du risque
- Le coût du rêve : le budget détaillé d’une participation à la Transquadra
- Solitaire, double ou équipage : les trois visages de la course au large expliqués
- Qui fait quoi à bord d’un bateau en double ? La répartition des tâches pour une efficacité maximale
- Seul au milieu de l’océan, mais jamais vraiment seul : la double vie du coureur au large moderne
40 ans et l’Atlantique en ligne de mire : l’ADN de la Transquadra, une course pas comme les autres
Le point de départ de tout projet Transquadra, c’est une règle simple mais fondatrice : avoir plus de 40 ans. Cette barrière à l’entrée n’est pas un détail, elle est l’ADN même de la course. Elle ne sélectionne pas par l’âge, mais par l’étape de vie. Elle s’adresse à nous, les marins qui avons déjà une vie construite, une carrière, une famille, et qui ne cherchons pas à devenir des professionnels de la voile, mais à vivre une expérience professionnelle dans notre passion. C’est une course de patrons de PME, de médecins, d’ingénieurs, de cadres… qui, le temps d’un projet, redeviennent des étudiants obsessionnels de la météo et de la performance. Les dernières données de participation confirment ce profil type, avec une flotte de marins expérimentés mais non professionnels.
L’autre génie de la formule, c’est son format en deux étapes : une première liaison jusqu’à Madère, puis la grande traversée vers la Martinique quelques mois plus tard. Cela change tout. Cela rend le projet compatible avec nos « autres vies ». On peut poser ses congés, gérer ses impératifs professionnels, et surtout, faire de la première étape un galop d’essai grandeur nature. C’est une soupape de sécurité et de validation immense. L’esprit de la course est unique : il y a une vraie compétition sur l’eau, mais à terre, l’entraide et la convivialité priment. C’est ce qui explique son succès depuis des décennies. L’organisation a su préserver cet équilibre fragile entre la régate pure et l’aventure humaine, conçue pour plaire autant aux coureurs qu’à leurs familles qui les suivent.
C’est cette promesse d’une aventure intense mais maîtrisable qui a été l’étincelle de mon propre projet. Une promesse tenue, mais qui cachait un niveau d’exigence que je n’imaginais pas encore.
De la croisière à la course : comment transformer son voilier de série pour la Transquadra
La deuxième grande étape, la plus concrète, c’est le bateau. Très peu de participants achètent un bateau spécifiquement pour la course. Le plus souvent, le projet se construit autour du bateau que l’on possède déjà, un voilier de série, pensé pour la croisière familiale. La question n’est donc pas « quel bateau acheter ? », mais « comment transformer ma monture en bête de course ? ». C’est là que commence la longue liste des optimisations. On ne parle pas de bricolage, mais d’une véritable refonte technique : allègement, renforcement de la structure, optimisation du gréement, et surtout, l’achat d’un jeu de voiles de performance. Chaque kilo superflu est traqué, chaque réglage potentiel est ajouté. Mon fidèle Dufour s’est transformé en deux ans en un prototype que je ne reconnaissais presque plus.
Bien sûr, certains chantiers sont devenus les stars du circuit, notamment les JPK et les Jeanneau Sun Fast, des voiliers pensés dès leur conception pour la jauge IRC et la course en équipage réduit. Voir ces bateaux sur les pontons met une certaine pression. Mais la Transquadra reste ouverte à de nombreux modèles plus « course-croisière », et c’est ce qui fait sa richesse. Le choix dépendra de votre budget et de vos ambitions, mais la logique reste la même : tirer la quintessence d’un bateau de série. Le tableau suivant, basé sur une analyse des flottes habituelles, donne une bonne idée des forces en présence.
| Modèle | Longueur | Poids | Atouts |
|---|---|---|---|
| Sun Fast 3200 | 9.79m | 3200kg | Simple et fiable |
| JPK 10.10 | 10.10m | 3500kg | Performance pure |
| Pogo 30 | 9.14m | 2900kg | Planant et rapide |
| First 31.7 | 9.61m | 3900kg | Course-croisière |
Cette phase est passionnante mais coûteuse. Elle représente le plus gros poste de dépense et le plus grand investissement en temps. C’est une période de doutes, d’apprentissages et de premières petites victoires techniques.
Le double : le mariage à durée déterminée le plus intense de la vie d’un marin
Si vous ne partez pas en solitaire, le choix du co-équipier est la décision la plus importante de tout le projet. Plus importante encore que le choix des voiles ou de l’électronique. J’appelle ça le « mariage à durée déterminée ». Vous allez passer deux ans à vous préparer ensemble, à partager les doutes, les galères financières, les week-ends de bricolage sous la pluie. Puis, vous vous enfermerez pendant des semaines dans 10m² au milieu de l’Atlantique. La compatibilité humaine est la clé absolue de la réussite et, plus important encore, du plaisir de l’aventure. Il ne s’agit pas de trouver son meilleur ami, mais de trouver un partenaire dont les compétences complètent les vôtres, et dont le caractère est compatible avec le vôtre en situation de stress, de fatigue et de promiscuité extrême.

Avec mon co-équipier, nous avons établi des règles claires dès le départ : répartition des responsabilités (lui la stratégie météo, moi la technique), protocole de communication en cas de désaccord, et surtout, des sessions de navigation intensives pour nous tester. C’est indispensable. On ne découvre pas son binôme au milieu du Golfe de Gascogne. L’investissement dans la formation est aussi un facteur de succès, comme le montre ce témoignage d’un autre duo :
On s’est entraînés avec Orlabay, le centre de formation à La Trinité-sur-Mer et on a la chance d’avoir Louis Duc (skipper Imoca) comme parrain du bateau, qui nous aide beaucoup.
– Participant, Tip & Shaft
Ce processus de sélection et de mise à l’épreuve du duo est une aventure en soi. C’est là que le projet prend une dimension humaine qui dépasse de loin le simple cadre sportif.
Le « syndrome du pro » : l’erreur de l’amateur qui veut jouer dans la cour des grands et qui oublie la gestion du risque
Voici le plus grand piège qui guette le concurrent de la Transquadra, surtout celui qui, comme moi, vient du monde de l’entreprise avec une culture de la performance. J’appelle ça le « syndrome du pro ». C’est la tentation de copier les coureurs du Vendée Globe, de vouloir le même matériel, les mêmes voiles, la même approche radicale. C’est une erreur qui peut coûter cher, financièrement et moralement. Nous sommes des amateurs éclairés, pas des professionnels. Notre objectif premier n’est pas la victoire à tout prix, mais de traverser en sécurité, en prenant du plaisir, et si possible, en faisant un bon classement. La nuance est énorme.
Ce syndrome pousse à la course à l’armement : le dernier pilote automatique, le code 0 le plus léger, l’ordinateur de bord surpuissant… On se concentre sur les 5% de performance qui font la différence au niveau professionnel, en oubliant les 95% qui relèvent de la fiabilité, de la simplicité et de la bonne gestion du marin et du matériel. Un amateur fatigué avec un bateau trop complexe sera toujours moins performant qu’un amateur reposé sur un bateau simple et maîtrisé. L’organisation de la course elle-même en a conscience. Pour contrer cette dérive, elle a intelligemment séparé la flotte en deux classements : un pour les purs prototypes de course et un autre pour les voiliers de course-croisière. Mico Bolo, le directeur de course, expliquait que c’était une façon de « revenir aux sources » et de permettre aux bateaux des premières éditions de rester compétitifs.
Mon conseil est simple : privilégiez toujours la fiabilité à la performance ultime. Un projet Transquadra réussi est un projet qui arrive au bout. Le reste n’est que du bonus.
Le coût du rêve : le budget détaillé d’une participation à la Transquadra
Parlons d’argent. C’est le nerf de la guerre, le sujet qui fâche mais qu’il est absolument crucial d’aborder avec une transparence totale dès le premier jour. Le projet Transquadra est un investissement financier majeur. En se basant sur de nombreux retours d’expérience, il faut être réaliste : selon les témoignages de participants récents, le budget global oscille entre 75 000 et 85 000 euros pour un projet en double. Ce chiffre peut sembler énorme, et il l’est. Il est le reflet de l’engagement total que la course exige. Le sponsoring peut aider, mais la plupart des participants financent leur projet en grande partie sur leurs fonds propres.
La clé est de construire un budget prévisionnel détaillé dès le début, en ne sous-estimant aucun poste. La surprise vient rarement des frais d’inscription, mais de l’accumulation des coûts d’optimisation, de sécurité, d’assurance et de logistique. Comme le montre cette ventilation issue d’un projet réel, la part la plus importante n’est pas la course elle-même, mais la préparation du bateau. C’est un point essentiel à comprendre, illustré par des exemples de budget comme celui présenté sur cette page de collecte de fonds.
| Poste de dépense | Montant | % du total |
|---|---|---|
| Frais participation course | 23 000€ | 30% |
| Amélioration performances | 43 500€ | 56% |
| Sécurité et navigation | 2 300€ | 3% |
| Vie équipage | 9 000€ | 11% |
| TOTAL | 77 800€ | 100% |
Ce budget est le gardien de votre sérénité. Un projet bien financé est un projet qui vous laissera vous concentrer sur l’essentiel : la navigation et le plaisir.
Solitaire, double ou équipage : les trois visages de la course au large expliqués
La Transquadra est avant tout une course pour les solitaires et les duos. L’équipage complet n’est pas l’esprit de l’épreuve. La grande question qui se pose à chaque prétendant est donc : « Suis-je capable de le faire seul, ou ai-je besoin d’un partenaire ? ». Historiquement, la répartition montre qu’un tiers des bateaux sont menés en solitaire. C’est le défi ultime, l’introspection totale. Mais c’est aussi une prise de risque et une charge mentale considérables. Le double, c’est le partage. Partage des manœuvres, des quarts, du stress, mais aussi des moments de joie. C’est souvent considéré comme la formule la plus « raisonnable » pour un amateur.
Le choix n’est pas anodin et doit être le fruit d’une auto-évaluation honnête. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, seulement celle qui correspond à votre niveau technique, à votre tempérament et à votre budget. Partir en double implique des frais supplémentaires, mais divise la charge de travail et augmente la sécurité. Le solitaire offre une liberté totale, mais ne pardonne aucune erreur de préparation ou de gestion de la fatigue. Pour vous aider à y voir clair, voici une checklist des points que j’ai moi-même validés avant de me décider pour le double.
Votre feuille de route pour choisir : solitaire ou double ?
- Évaluez votre capacité réelle à manœuvrer seul votre bateau dans le gros temps, jusqu’à des tailles de 36 pieds.
- Faites un audit honnête de votre niveau technique personnel : empannages sous spi, gestion des pannes, matossage.
- Sondez votre entourage : avez-vous un coéquipier non seulement disponible, mais aussi fiable et psychologiquement compatible ?
- Validez le budget : le surcoût en double (environ 4000€ contre 3500€ de frais d’inscription de base) est-il dans vos moyens ?
- Interrogez votre motivation profonde : cherchez-vous l’introspection absolue ou le partage d’une aventure humaine ?
Quelle que soit votre décision, elle doit être assumée à 100%. C’est elle qui donnera sa couleur à votre aventure : un face-à-face avec l’océan, ou un dialogue permanent avec votre binôme.
Qui fait quoi à bord d’un bateau en double ? La répartition des tâches pour une efficacité maximale
Une fois le binôme constitué, le travail ne fait que commencer. Un équipage en double n’est pas la somme de deux marins, c’est une nouvelle entité qui doit apprendre à fonctionner avec une efficacité redoutable. La clé est une répartition des tâches claire et acceptée par les deux parties. En général, les rôles se distribuent naturellement selon les affinités : un « cerveau » pour la stratégie météo et le routage, et un « technicien » pour la performance du bateau, les réglages fins et la mécanique. Mais en réalité, chacun doit être capable de tout faire. La polyvalence est une question de survie.
Le système de quart est l’autre pilier de la vie à bord. Le plus courant est le système de quarts de 4 heures. Cela peut paraître long, mais c’est le minimum pour espérer obtenir des phases de sommeil paradoxal, essentielles à la récupération sur le long terme. Pendant que l’un est à la barre ou en veille active, l’autre doit pouvoir se déconnecter totalement, avec une confiance absolue dans son partenaire. Cette confiance ne se décrète pas, elle se construit pendant les longs mois de préparation. C’est une conviction partagée par de nombreux équipages, souvent eux-mêmes dirigeants d’entreprise, qui soulignent que le format en deux étapes « est compatible avec notre travail et notre vie de famille ». Cet aspect pragmatique renforce la nécessité d’une organisation sans faille à bord.
L’objectif final est de créer des automatismes, une sorte de chorégraphie où chaque geste est anticipé, pour que le bateau continue d’avancer vite et bien, même quand l’équipage est au bout de ses forces.
À retenir
- La Transquadra est moins une course qu’un projet de vie de 2-3 ans, où la préparation est l’aventure principale.
- Le défi majeur pour l’amateur est d’éviter le « syndrome du pro » en privilégiant la fiabilité et la simplicité à la performance absolue.
- La réussite du projet repose sur trois piliers indissociables : un budget réaliste, un bateau bien préparé, et un binôme humainement compatible.
Seul au milieu de l’océan, mais jamais vraiment seul : la double vie du coureur au large moderne
Au final, après des mois d’une « double-vie » intense, partagé entre les responsabilités professionnelles et cette obsession dévorante, vient le moment du départ. Et c’est là que l’on comprend que l’on n’est pas seul. On emporte avec soi le soutien de sa famille, les encouragements des amis, la confiance de son co-équipier. On fait partie d’une communauté. La Transquadra a su créer et préserver un esprit unique. Comme le dit son fondateur, Mico Bolo, « depuis 1993, la Transquadra n’a pas changé, l’esprit reste festif et convivial ». C’est cette âme qui fait la différence.
Une fois en mer, le paradoxe du coureur au large moderne s’installe. On est physiquement seul ou à deux, isolé sur une coquille de noix, mais connecté au monde par des moyens de communication de plus en plus sophistiqués. On reçoit les fichiers météo, on échange avec la direction de course, on donne des nouvelles à terre. Cette connexion est un outil formidable de performance et de sécurité, mais c’est aussi un fil qu’il faut savoir gérer pour ne pas perdre le contact avec l’essentiel : la mer, le vent, les sensations. La véritable solitude, celle des pionniers, n’existe plus vraiment. Elle a été remplacée par une solitude choisie et maîtrisée, un isolement volontaire au cœur d’un réseau invisible mais bien présent.
L’arrivée en Martinique n’est alors plus une fin en soi. C’est la conclusion logique d’un chapitre, la validation d’un projet qui nous a transformés bien plus profondément que quelques semaines passées sur l’eau. Pour vous lancer dans votre propre projet, l’étape suivante consiste à commencer votre propre évaluation, en utilisant les clés de ce témoignage.
Questions fréquentes sur le projet Transquadra
Comment se répartissent les rôles dans un équipage en double?
Généralement, on désigne un responsable météo/stratégie et un responsable technique/mécanique, mais les deux doivent être polyvalents pour assurer les quarts et faire face à n’importe quelle situation. La confiance et la complémentarité sont primordiales.
Quel système de quart privilégier pour une transat?
Les quarts de 4 heures sont les plus courants et les plus recommandés pour les amateurs. Cette durée permet d’atteindre des phases de sommeil récupérateur tout en maintenant une veille efficace. Des quarts plus courts (3h) peuvent être utilisés dans les zones de trafic intense ou de météo instable.
Faut-il une préparation spécifique pour naviguer en double?
Oui, c’est indispensable. Des stages spécialisés, comme ceux proposés par des centres de formation reconnus (ex: Pôle Finistère Course au Large, Centre d’Entraînement Méditerranée), sont fortement recommandés pour tester la compatibilité du binôme, roder les manœuvres et définir les protocoles de communication en situation de crise.