Publié le 17 mai 2024

Contrairement à l’idée reçue, le double n’est pas une version « facile » du solitaire, mais un simulateur de performance qui expose chaque faille avant qu’elle ne devienne critique au milieu de l’océan.

  • Il force la verbalisation de la stratégie, transformant l’instinct et les réflexes solitaires en une analyse consciente et partageable.
  • Il teste la gestion humaine et la communication sous pression, une compétence-clé souvent négligée dans l’entraînement en solitaire.

Recommandation : Ne considérez plus le double comme un compromis, mais comme l’outil d’introspection et d’accélération de compétences le plus puissant à la disposition d’un marin qui vise les sommets.

Le rêve de tout jeune marin qui se lance dans la course au large a un nom : le Vendée Globe. L’Everest des mers, le mythe du solitaire face aux éléments. Pour y arriver, les chemins semblent tracés : des années de sacrifice en Mini 6.50, puis le test d’endurance sur le circuit Figaro. Dans ce parcours, la navigation en double est souvent perçue comme une simple étape, une transition, voire un compromis plus accessible financièrement ou mentalement avant le grand saut. Une sorte de version « light » de l’épreuve reine.

Et si je vous disais, en tant que coach au Pôle Finistère qui voit éclore les champions de demain, que cette vision est une erreur fondamentale ? Si la véritable force du double n’était pas de simplifier la course, mais au contraire de la complexifier d’une manière incroyablement formatrice ? Le co-équipier n’est pas une simple paire de bras en plus. Il est un miroir. Un miroir qui ne ment pas, qui renvoie au skipper ses propres doutes, ses automatismes, ses forces et surtout, ses faiblesses. Le double est moins une course qu’un laboratoire de performance sous pression.

La solitude du solitaire pardonne les décisions instinctives, les stratégies non-verbalisées. Le double, lui, exige une clarté absolue. Il oblige à expliquer, à justifier, à convaincre. Il transforme un art intuitif en une science de la performance. C’est dans ce dialogue permanent, dans cette confrontation bienveillante mais sans concession, que se forgent les véritables compétences d’un champion : la polyvalence, la résilience mentale et une compréhension de soi-même que des milliers de milles en solo ne sauraient révéler aussi vite.

Cet article va donc décortiquer, point par point, les mécanismes qui font du double l’école des champions. Nous allons analyser la répartition des rôles, la gestion technique, mais surtout les aspects psychologiques qui font de ce format le simulateur de haute intensité le plus efficace pour quiconque aspire à la course au large en solitaire.

Qui fait quoi à bord d’un bateau en double ? La répartition des tâches pour une efficacité maximale

L’idée reçue la plus tenace sur le double est celle d’une simple alternance : « pendant que tu dors, je veille ». C’est une vision réductrice qui passe à côté de l’essentiel. La performance en double ne naît pas d’une division du travail, mais d’une multiplication des compétences. La preuve de l’efficacité de ce modèle est frappante : au sein des structures d’excellence comme le Pôle Finistère Course au Large, la culture du double est fondamentale, au point que près de 40% de la flotte du Vendée Globe 2024 a été préparée au sein de cette structure.

Le modèle performant n’est pas celui de deux solitaires qui se relaient, mais celui de deux spécialistes qui fusionnent leurs expertises. On ne se contente pas de partager les quarts ; on définit des zones de responsabilité dynamiques. L’un peut être le référent « performance et réglages fins » tandis que l’autre prend le lead sur la « stratégie météo et routage ». Ces rôles ne sont pas figés. Ils s’échangent en fonction de l’état de fatigue, des conditions et des phases de la course. C’est une danse permanente où chacun doit connaître la partition de l’autre sur le bout des doigts.

Étude de cas : La complémentarité du duo Cammas-Caudrelier

La victoire de Franck Cammas et Charles Caudrelier sur la Transat Jacques Vabre 2021 en Ultim est l’illustration parfaite de ce modèle. Leur succès repose sur une complémentarité quasi parfaite : Cammas, reconnu pour son expertise des manœuvres et sa tactique pure, s’est associé à Caudrelier, un maître de la stratégie météo et du routage. Cette synergie leur a permis de créer un binôme où chaque décision était le fruit de deux expertises croisées, démontrant que le modèle des zones de responsabilité est bien plus efficace qu’une simple alternance de quarts.

Cette approche force chaque marin à une polyvalence extrême. Le stratège doit être capable d’exécuter une manœuvre complexe en pleine nuit, et le régleur doit pouvoir analyser un fichier météo avec la même acuité que son partenaire. C’est cette obligation de maîtriser l’ensemble du spectre de compétences qui rend le double si formateur. On n’apprend pas seulement son rôle, on apprend aussi à penser comme son co-équipier.

Le pilote automatique, votre meilleur ami : comment le régler pour qu’il barre mieux que vous

En double, il n’y a pas deux, mais trois équipiers à bord. Le troisième, et souvent le plus endurant, est le pilote automatique. Le considérer comme un simple outil pour maintenir un cap est une erreur de débutant. Un pilote bien réglé est une extension de l’intelligence du duo, capable de barrer plus vite et plus régulièrement qu’un humain fatigué. La véritable compétence réside dans la capacité des deux marins à dialoguer avec la machine, à la « coacher » pour qu’elle donne le meilleur d’elle-même.

Le réglage du pilote devient une science à quatre mains. Pendant qu’un marin est à la barre, ressentant la glisse et les réactions du bateau, l’autre a les yeux rivés sur les données : vitesse, angle de gîte, polaires de vitesse. C’est cette corrélation entre le ressenti humain et la donnée brute qui permet de trouver les réglages optimaux. On ne dit pas au pilote « va à tel angle du vent », on lui apprend à « sentir » la vague et à anticiper la risée, en ajustant des paramètres complexes comme le gain, le contre-rudder ou le mode « vagues ».

Gros plan sur les mains d'un navigateur ajustant les commandes du pilote automatique d'un voilier de course

Le but ultime est de créer une bibliothèque de réglages, des « presets » pour chaque condition de vent et de mer. Le double offre le temps et les deux cerveaux nécessaires pour cette phase de R&D en pleine course. L’objectif est clair : quand un équipier part se reposer, il doit avoir une confiance absolue dans la capacité du pilote à maintenir, voire à améliorer, le niveau de performance.

Votre plan d’action : 5 étapes pour un réglage de pilote optimal

  1. Calibration initiale à quatre mains : Un équipier analyse les données sur l’ordinateur pendant que l’autre barre manuellement pour établir une performance de référence.
  2. Création de presets par condition : Enregistrez les réglages optimaux (gain, réactivité, etc.) pour chaque combinaison vent/mer rencontrée.
  3. Configuration des alarmes intelligentes : Définissez des seuils de déclenchement (écart de route, survitesse, etc.) pour alerter sans créer de réveils inutiles et de fatigue.
  4. Utilisation de la « double veille » : Profitez des phases où les deux marins sont éveillés pour affiner ensemble les réglages les plus fins du pilote.
  5. Analyse post-navigation : Étudiez les traces et les logs du pilote pour identifier les phases où la machine a été moins performante et comprendre pourquoi.

C’est un travail méticuleux qui transforme une machine en un véritable partenaire de performance. La maîtrise du pilote n’est pas une compétence technique, c’est une compétence stratégique qui conditionne la gestion de l’énergie du duo.

Le ballet du double : comment réaliser seul une manœuvre prévue pour quatre personnes

Envoyer un spi de 400m², empanner sous gennaker dans 25 nœuds de vent… Ces manœuvres, déjà physiques pour un équipage complet, deviennent un véritable défi logistique et physique en double. Pourtant, c’est là que la magie opère. La contrainte du double a forcé une révolution dans la conception des bateaux et l’anticipation des manœuvres. Le secret n’est pas la force brute, mais une chorégraphie millimétrée où chaque geste est optimisé.

Tout est pensé en amont. L’ergonomie du cockpit, la position des winchs, le chemin des écoutes… chaque élément est conçu pour être manipulé par une seule personne pendant que l’autre reste à la barre et à la stratégie. Cette optimisation est devenue une marque de fabrique de l’ingénierie française. Des entreprises comme Karver ont développé des systèmes d’enrouleurs et de hooks qui permettent de manipuler des voiles de plus de 100 kg avec une efficacité redoutable. Le matériel devient une extension du corps du marin.

L’analyse des équipements à bord d’un IMOCA comme Initiatives-Cœur, qui embarque 7 voiles d’avant en plus de la grand-voile, montre comment cette contrainte a stimulé l’innovation. Des changements de voiles complexes sont réalisés en moins de 10 minutes par le duo, une performance qui demanderait à peine moins de temps à un équipage de quatre personnes. La différence réside dans l’anticipation. Chaque bout est préparé, chaque sac est à sa place. C’est un ballet où rien n’est laissé au hasard.

Mais l’aspect le plus fascinant est psychologique. Le fait de savoir qu’un co-équipier est là, même s’il ne participe pas directement à la manœuvre, change tout. Il est un filet de sécurité, une vigie. Comme le souligne Erwan Tabarly, coach au Pôle Finistère :

La présence du co-équipier agit comme un filet de sécurité psychologique, poussant les marins à tenter des manœuvres plus radicales qu’ils n’oseraient pas en solitaire.

– Erwan Tabarly, Coach au Pôle Finistère Course au Large

Cette audace contrôlée, c’est l’essence même de la performance. On ose pousser le bateau plus loin, changer de voile plus tard dans la nuit, car on n’est jamais vraiment seul face à la conséquence d’une erreur. C’est un entraînement à la prise de risque calculée, une compétence inestimable pour le solitaire.

Le « syndrome du faux-jumeau » : l’erreur de ne jamais laisser son co-équipier vraiment seul qui mène à l’épuisement

Le plus grand avantage du double – la présence d’un autre cerveau et d’une autre paire de bras – peut rapidement devenir son plus grand piège. J’appelle cela le « syndrome du faux-jumeau » : cette incapacité à faire une confiance totale à son partenaire, qui pousse un marin à ne jamais vraiment déconnecter. On est censé dormir, mais on garde une oreille tendue, on se réveille au moindre bruit suspect, on jette un œil à l’écran dans la bannette. On ne laisse jamais son co-équipier être vraiment seul aux commandes.

Cette hypervigilance est dévastatrice. Elle empêche le sommeil réparateur, la seule véritable source de lucidité en course au large. Le marin qui se repose ne recharge pas ses batteries, et celui qui est de quart sent le poids de cette méfiance latente. La fatigue s’accumule alors pour les deux, non pas linéairement, mais de façon exponentielle. L’épuisement n’est pas loin, et avec lui, la cascade d’erreurs : mauvaise décision tactique, manœuvre ratée, blessure.

Lutter contre ce syndrome est l’un des apprentissages les plus difficiles et les plus cruciaux du double. Cela demande un lâcher-prise total. Quand c’est son tour de dormir, on doit « mourir » symboliquement. On confie sa vie, son projet et le bateau à l’autre. Cette confiance n’est pas innée, elle se construit à terre, par des heures de navigation commune, en définissant des protocoles clairs : « Tu ne me réveilles que si A, B ou C se produit. Pour tout le reste, c’est ta décision, et je l’assumerai sans discuter à mon réveil. » La gestion de l’énergie devient la priorité absolue, et la capacité à se reposer efficacement est une compétence aussi importante que savoir régler une voile. D’ailleurs, le succès des marins les mieux préparés le prouve : sur les dernières éditions des grandes courses, le taux de finition est exceptionnel, comme en témoigne le bilan où 15 des 16 skippers du Pôle Finistère ont terminé le Vendée Globe, une preuve que la gestion de l’humain et de l’énergie est la clé.

Apprendre à être seul… à deux. C’est tout le paradoxe et toute la force du double. En maîtrisant cet équilibre, le marin apprend à gérer ses propres cycles de sommeil et de vigilance, un savoir-faire qui sera son principal atout lorsqu’il se retrouvera, pour de bon, seul au milieu de l’océan.

Seul ou à deux : le match des difficultés en course au large

La question n’est pas de savoir si le solitaire est « plus dur » que le double. C’est une mauvaise question. La véritable interrogation est : en quoi les difficultés sont-elles de nature différente ? Chaque format est un Everest, mais les voies pour l’atteindre sont radicalement distinctes. Le solitaire est un marathon psychologique contre soi-même. Le double est un ultra-trail où la gestion de la relation humaine est aussi critique que la gestion de l’effort physique.

En solitaire, la charge mentale est de 100%. Le doute, la peur, la responsabilité de chaque décision reposent sur une seule personne. En double, cette charge se divise, mais une nouvelle composante apparaît : la charge relationnelle. Il faut gérer ses propres émotions et celles de l’autre, communiquer efficacement dans la fatigue et le stress, faire des compromis. C’est un défi d’une autre nature, mais tout aussi épuisant.

Pour mieux comprendre ces nuances, rien ne vaut une comparaison factuelle. Le tableau suivant, qui synthétise des données et observations du milieu de la course au large, met en lumière les différences fondamentales entre les formats, comme le montre cette analyse des formats de course au large.

Comparaison des formats de course : Solitaire vs Double vs Équipage
Critère Solitaire Double Équipage
Charge mentale 100% solitude et doute 50% bateau + gestion relation Répartie sur plusieurs
Sommeil moyen 3-4h fragmenté 4-6h par cycle 6-8h organisé
Vitesse moyenne 85% du potentiel 92% du potentiel 98% du potentiel
Coût saison Class40 200-300k€ 250-350k€ 400-500k€
Visibilité médiatique Maximale (Vendée Globe) Excellente (Transat JV) Variable (Ocean Race)

Ce tableau révèle une vérité essentielle : le double permet d’exploiter le bateau à 92% de son potentiel de vitesse, un chiffre bien plus proche de l’équipage que du solitaire. Pourquoi ? Parce que le duo peut maintenir une intensité de réglages et une prise de risque que le solitaire, contraint de gérer son énergie sur le long terme, ne peut se permettre. Le double est donc un sprint permanent, alors que le solitaire est une course de fond. Ce sont deux sports différents, avec des exigences physiologiques et mentales distinctes.

Le double : le mariage à durée déterminée le plus intense de la vie d’un marin

Choisir son co-équipier est une décision plus engageante que beaucoup ne l’imaginent. Il ne s’agit pas de trouver un bon marin, mais de trouver la bonne personne. Pour quelques semaines, cet individu sera la seule interaction humaine, le confident, le soutien et parfois la source de friction. C’est une relation d’une intensité rare, un véritable « mariage à durée déterminée » où la compatibilité humaine prime sur la compétence technique pure.

Les duos qui fonctionnent ne sont pas forcément ceux composés des deux meilleurs marins, mais ceux qui ont la meilleure alchimie. C’est un mélange subtil de respect mutuel, d’humour, de capacité à désamorcer les conflits et, surtout, d’un alignement total sur l’objectif et le niveau d’engagement. La moindre dissonance dans l’ambition ou l’éthique de travail, invisible à terre, devient un gouffre béant au milieu de l’Atlantique.

Les binômes les plus performants poussent cette logique jusqu’à établir un véritable « contrat psychologique » avant même de monter sur le bateau. Ils ne laissent aucune place à l’implicite, qui est la source de toutes les frustrations. Tout est discuté, négocié et validé : le niveau sonore acceptable la nuit, la gestion de l’espace vital dans une cellule de quelques mètres carrés, la manière de communiquer une critique ou un désaccord. Rien n’est tabou.

Étude de cas : Le contrat psychologique du duo Ruyant-Lagravière

La domination du duo Thomas Ruyant – Morgan Lagravière sur la Transat Jacques Vabre 2023 en est la parfaite démonstration. Leur préparation a inclus plusieurs séances avec un préparateur mental pour définir précisément ces règles du jeu humaines. En verbalisant l’implicite (comment exprimer sa fatigue sans alarmer l’autre, comment gérer l’énervement après une erreur), ils ont bâti une confiance et une fluidité relationnelle qui leur a permis de se concentrer à 100% sur la performance. Leur avance historique à l’arrivée n’est pas seulement le fruit de leur talent, mais aussi de cette maturité dans la gestion de leur binôme.

Cette expérience est un formidable accélérateur de maturité. Le marin apprend à se connaître à travers le regard de l’autre, à gérer des dynamiques de groupe sous stress et à développer une intelligence émotionnelle qui lui sera précieuse dans sa future carrière, que ce soit en solitaire ou pour manager une équipe à terre.

Solitaire, double ou équipage : les trois visages de la course au large expliqués

Pour un jeune marin qui rêve de grands larges, la question du format est stratégique. Chaque voie a ses propres codes, son propre écosystème et ses propres exigences. Comprendre ces trois visages de la course au large est la première étape pour construire une carrière cohérente. Il ne s’agit pas de choisir ce qu’on « préfère », mais de définir un plan de carrière, une « voie royale » qui mène à son objectif ultime.

Le solitaire est l’ascèse, la quête du dépassement de soi. C’est le format roi en termes de visibilité médiatique (Vendée Globe, Route du Rhum) et de reconnaissance personnelle. Mais c’est aussi le plus exigeant mentalement et souvent le plus difficile à financer au début. L’équipage (The Ocean Race) est l’école de l’organisation et de la performance pure. La vitesse du bateau est maximale, mais la place de l’individu est diluée dans le collectif. La visibilité est plus variable et dépend de la nationalité et des personnalités à bord.

Le double, lui, se positionne comme le compromis stratégique le plus intelligent. Il offre une excellente visibilité médiatique sur des épreuves mythiques comme la Transat Jacques Vabre. Sur le plan financier, il permet de partager les coûts, rendant l’accès à des bateaux performants (Class40, IMOCA) plus réaliste. Comme le montrent les analyses du marché du sponsoring voile en France, le double en Class40, avec un budget de 250-350k€, offre un des meilleurs ratios investissement/retombées. Mais son principal atout est d’être au carrefour des compétences. Il exige la rigueur du solitaire et les bases de la communication de l’équipage.

En France, les filières d’excellence ont implicitement dessiné un parcours type pour façonner les champions de demain. Ce n’est pas une règle absolue, mais une trajectoire qui a fait ses preuves :

  1. Étape 1 : Formation en Mini 6.50 – L’apprentissage de l’autonomie brute, la gestion de projet de A à Z.
  2. Étape 2 : Circuit Figaro en solitaire – Le développement du mental, de la stratégie pure et de la régate au contact.
  3. Étape 3 : Transat Jacques Vabre en double – Le test grandeur nature sur une machine plus puissante (Class40 ou IMOCA), la validation des acquis et l’apprentissage de la gestion humaine.
  4. Étape 4 : Préparation spécifique selon l’objectif – Spécialisation pour le Vendée Globe (solitaire) ou The Ocean Race (équipage).
  5. Étape 5 : Consécration sur l’épreuve reine – Avec un retour fréquent vers le double plus tard dans la carrière pour transmettre le savoir.

Le double n’est donc pas une voie parallèle, mais bien une étape centrale et presque incontournable du cursus d’un coureur au large moderne.

À retenir

  • Le double n’est pas une version « facile » du solitaire, mais un simulateur de performance qui force à la polyvalence et à l’analyse.
  • La performance en double repose sur un « contrat psychologique » où la gestion humaine est aussi cruciale que la technique.
  • Le double pousse à la prise de risque calculée et à l’innovation matérielle, permettant d’exploiter le bateau à plus de 90% de son potentiel.

Le double, ce miroir qui vous révèle à vous-même

Au final, la question n’est plus de savoir si le double est formateur, mais de comprendre à quel point il est un puissant outil d’introspection. On peut naviguer des années en solitaire, bardé de certitudes sur sa manière de fonctionner, ses réflexes, sa stratégie. On développe des automatismes, des habitudes. Le solitaire, dans sa bulle, ne remet que rarement en question ces schémas mentaux, car personne n’est là pour lui offrir un point de vue contradictoire.

Le co-équipier est ce grain de sable dans la mécanique bien huilée. Il est ce miroir grossissant qui révèle les angles morts. Par ses questions (« Pourquoi tu choisis cette route ? », « Pourquoi tu règles la voile comme ça ? »), il force le skipper à verbaliser son instinct. Et en verbalisant, on analyse. En analysant, on comprend. On prend conscience de décisions prises par habitude plutôt que par pure logique. C’est une introspection forcée, mais d’une valeur inestimable.

Cette dynamique est si puissante qu’elle bénéficie même aux marins les plus expérimentés, ceux qui ont déjà plusieurs tours du monde en solitaire à leur actif. Le témoignage de Jean Le Cam, légende du Vendée Globe et fondateur du Pôle Finistère, est à ce titre éclairant. Il illustre parfaitement comment ce format peut encore enseigner des choses à ceux qui pensent tout savoir de la navigation en solitaire.

Les rares fois où j’ai navigué en double, notamment sur la Transat Jacques Vabre, j’ai découvert des habitudes que je ne soupçonnais pas. Mon co-équipier me faisait remarquer des choix tactiques que je faisais par réflexe, sans même m’en rendre compte. Le double force à verbaliser, à expliquer, et donc à comprendre vraiment pourquoi on prend telle ou telle décision. C’est une introspection forcée mais salutaire.

– Jean Le Cam, Vétéran de 5 Vendée Globe

Le double n’est donc pas une fin en soi, ni une simple étape. C’est un processus. Un processus d’accélération qui transforme un bon marin en un skipper complet, maître de sa machine, de sa stratégie, mais surtout, maître de lui-même. C’est pour cette raison qu’il est, et restera, l’école des champions.

Pour tout jeune marin aspirant au plus haut niveau, la prochaine étape n’est donc pas de rêver au solitaire, mais d’évaluer lucidement son profil pour trouver le co-équipier qui agira comme le meilleur des coachs : un miroir exigeant et bienveillant.

Rédigé par Yann Le Bihan, Yann Le Bihan est un skipper professionnel et routeur météo avec plus de 30 ans d'expérience dans la course au large. Il est particulièrement reconnu pour son expertise des transatlantiques et sa gestion stratégique des épreuves d'endurance.